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24/02/2009

Nous sommes tous des riches marrants



L.O.L., c'est l'histoire d'une fille de 16 ans, Lola, mais que "tout le monde appelle Lol" (ce sont, en ouverture et en voix off, les premiers mots de l'héroïne). Sauf que, dans le film, tout le monde l'appelle Lola. Passons. L.O.L. étonne pour au moins deux autres raisons:

1) L.O.L. n’est pas lol.
2) L.O.L. est terrifiant.

Inutile cependant d’accabler Liza Azuelos ; Liza Azuelos n’existe pas. Dans le monde de L.O.L. (car L.O.L. crée un monde), il n’y a que les jeunes et les vieux. Liza Azuelos, comme Aristote, définit des catégories. Elle nous apprend (car L.O.L. est didactique) à distinguer deux races. Et la chose est difficile : d’un pur point de vue anthropologique, les comportements des jeunes et des vieux observent dans le film une presque similarité. La différence tient essentiellement à leur motricité : le jeune ne se meut qu’à pied ou se fait conduire ; le vieux, au contraire, se déplace aussi bien en voiture qu’en moto ou en bateau ; le jeune, d’instinct encore grégaire, évolue avec un groupe dont il se sépare le moins possible ; le vieux, quant il sort de la tanière familiale dont il est le maître respecté, demeure dans une solitude contrariée. Le jeune parle aux jeunes mais peu, ou mal, aux vieux. Le vieux essaye de s’adresser au jeune mais n’y parvient pas. Le vieux a été jeune mais il ne l’est plus : Sophie Marceau a fait sa boum mais La Boum, c’était en 1980. Elle doit donc aujourd’hui changer de camp et (attention, idée !) jouer la mère à son tour.


Cela, pourtant, importe peu. Parce que ce qui est bien, avec Sophie Marceau, c’est qu’ado ou adulte, fille ou mère, elle est toujours Sophie Marceau. C'est-à-dire qu’elle évolue et grandit avec nous, comme nous : elle nous ressemble. « Madame Bovary, c’est moi » avouait Flaubert. Liza Azuelos lui répond : « Sophie Marceau, c’est nous ». Et ce nous là est important. L.O.L., film catégoriel, est aussi un film représentatif. Et représentatif parce que catégoriel. Parce quand on parle des jeunes, on parle d’aujourd’hui ; et quand on parle de nos enfants, on parle de nous. L.O.L., disons-le, est non seulement un film « incroyablement actuel » (c’est Marie Sauvion qui le dit, donc c’est vrai), mais un film qui nous parle de nous. Etant entendu, bien sûr, que nous habitons dans le seizième arrondissement, que notre maison est un hôtel particulier, et que nous n’avons d’autre souci (que nous ayons 16 ou 45 ans) que de savoir si, oui ou non, nous allons coucher avec lui (le mec). L.O.L., c’est sa force, est un film représentatif qui ne représente personne. Ou alors quelques uns mais, à la limite, le film ne leur est pas destiné. L.O.L., c’est un film pour les autres, tous ceux qui ne se reconnaissent a priori pas dans ce « nous », et d’abord les jeunes, à qui il s’adresse directement. Or L.O.L. ne dit pas « vous, les jeunes, vous êtes comme nous », mais « regardez nous, nous sommes les mêmes », ce qui est à la fois plus honnête et bien plus terrible. Il faut avoir vu la mère commenter l’épilation pubienne de la fille, les deux couples d’amis s’allumer un joint après le dîner ou, surtout, le père autoritaire (il est ministre) aller au concert de son fils (il est rockeur) et commencer à se dandiner pour savoir ce que c’est, vraiment, qu’un film d’horreur. Car soudain, le cauchemar se précise : un monde où les plus différents d’eux seraient eux, un monde où ils n’existeraient qu’eux, un monde où nous serions tous lol. Mdr ? Non, mort de peur.






M. P.

23/03/2008

De la fadeur considérée dans ses rapports esthétiques avec le cinématographe.




"Si on a chacun un milk-shake...mais moi avec une paille, ma paille traverse la pièce et boit ton milk-shake. Je bois ton milk-shake." Daniel à Elie.

Contre toute attente, There will be blood fut une heureuse surprise. J'oserais même affirmer qu'il s'agit là du plus moderne des films hollywoodiens de ces années 2000. Mais j'oublierais Le Nouveau Monde. Et Zodiac, de Fincher. Non, décidément, il se passe quelque chose dans le cinéma américain. Mais quoi? Je ne sais pas, peut-être l'aveu sincère d'un échec de la part des réalisateurs (je dis bien réalisateurs, et non cinéastes, dimension idéaliste de ces jeunes formalistes qui se rêvent pionniers de la civilisation de l'image). Prenez le dernier Malick (plus tout jeune, lui): toute la pompe wagnérienne, tout le faste de l'épopée conquérante, le decorum Disneyland attraction Pocahontas, tout cela, dis-je, et l'absence cruelle du montage qui viendrait souffler le vent du lyrisme sur les innombrables plans de nature. On peut dire que ça s'est passé comme ça: Malick était parti faire une romance de pacotille, avec personnages, décors et figurants à la carte, et soudain il préfère filmer les oiseaux et les cimes des arbres, il préfère saisir une lumière, il préfère observer les indiens et les rites. Le Nouveau Monde, c'est un film de Jean Rouch avec un budget de trente millions de dollars.


Quel rapport entre Le Nouveau Monde et There will be blood? On pourrait dire de Paul Thomas Anderson, comme de Terence Malick, que l'ambition dépasse souvent la réalisation du projet. Qu'y avait-il dans les films de ses aînés, les idoles du Nouvel Hollywood? Une critique politique et sociale (De Palma, Lumet, Pollack), un mince vernis de satire (Altman, son maître), une dimension mythique (Coppola, toujours), j'en passe et des moins bons... Dans There will be blood, exit le socialisme du roman d'Upton Sinclair, exit aussi toute considération morale sur l'ascension irrésistible du magnat (la patte Scorsese, à coup sûr): reste le mystère d'un corps, un acteur impressionnant qui viendrait dicter au long-métrage son écriture. There will be blood est le portrait d'un homme.


Tel est "l'échec" de Paul Thomas Anderson, ce singulier échec qui fait en définitive la qualité première de l'oeuvre: jouer la petite histoire contre la Grande, l'intimisme contre la fresque. Comme Le Nouveau Monde. Comme Zodiac. On lui a donné de l'argent, on lui a donné un désert pour construire un village, on lui a donné les paysages de l'âge classique: résultat, il filme son acteur en plan serré. Bien sûr, j'exagère; il y a aussi des travellings sinueux et des plans-séquences audacieux, des plongées qui symbolisent l'écrasement et des contre-plongées qui symbolisent le grandissement, histoire de satisfaire les partisans du langage cinématographique. Mais là n'est pas l'essentiel du drame; non, ce qui se joue au détour de chaque plan, c'est la fadeur. Fadeur du récit, celui d'un homme sans rival, un orphelin moustachu et taciturne; fadeur du plan, format trop large pour une si petite aventure; fadeur du décor, puisqu'enfin tout se passe sous la terre. Mais il arrive aussi que cette fadeur soutienne le film plutôt qu'elle ne le desserve. Il faut admirer la fin du film, lorsque Daniel Plainview (Daniel Day-Lewis) se débarrasse du prédicateur dans la salle de bowling, scène drôle et acerbe où se cristallise toute l'audace de son auteur, tiraillé entre sublime et grotesque. Le concerto pour violon de Brahms en même temps qu'une discussion métaphorique sur le milk-shake.


There will be blood nous apprend en définitive qu'il y a dans l'échec, dans le ratage même d'un film, une vérité du cinéma qui vaut toutes les réussites. Pour l'heure, nous ne pouvons que reprendre la critique de Montparnasse 19 de Becker par Jean-Luc Godard: "tout séduit dans ce film déplaisant. Tout sonne juste dans ce film archi-faux. Tout s'éclaire dans ce film obscur. Car celui qui saute dans le vide n'a plus de comptes à rendre à ceux qui le regardent." (Cahiers du cinéma, n° 83, mai 1958). Humilité de P.T.A.


A.M

29/02/2008

Small Soldiers



Il y a quelque chose de très beau et de très naïf dans le cinéma de de Palma, une manière de s’attacher aux idoles du monde contemporain et de les gonfler de tout ce qu’on leur attribue, jusqu’à leur explosion. C’est bien évidemment la fragile Carrie, sainte vierge mise en gloire avant d’exploser de rage. Ou, à l’autre extrémité, le méchant Cassavetes de Fury, ce monstre de haine que Brian ose faire imploser comme un ballon de baudruche. Comme si le cinéma pouvait, in fine, détruire de l’intérieur les stéréo-types, ces saints et ces diables publicitaires décidément trop ridicules. Mais maintenant que les choses ont changé, qu’aucun héros ou modèle n’est plus capable de susciter la ferveur religieuse, les attaques du cinéaste barbu ont changé d’objectif. C’est à une autre croyance collective que s’en prend l’auteur de Redacted : à cette obsession des « vraies images » qui donne de la valeur aux enregistrements les plus inavouables, qu’ils viennent de caméras de surveillances ou des aventures des Jackass. L’auteur de Blow Out voit monter ça depuis assez longtemps pour savoir que ce n’est au fond que l’extension d’un principe du cinéma pornographique, et que les snuffmovies ont en quelque sorte popularisé.


Pourtant, de Palma ne critique pas la fascination exercée par les vidéos amateurs, il la tourne en ridicule en mimant ces fameux documentaires. Avec ses acteurs, d’abord, qu’il traite ouvertement comme des marionnettes, et oblige à reprendre des rôles tout faits : le soldat qui meure (noir), le soldat idiot (gros), le soldat faible (témoin), l’intellectuel (à lunettes), le méchant (qui tue), le gentil (qui pleure). Les représentations que donne la mauvaise troupe sont aussi peu crédibles : soit parodique (le reportage français, en musique), soit inversé (plans fixes, longs, profonds, volontairement laids), le système du reportage (et du faux reportage, à la Paul Greengrass) tourne vite à la farce. Plus le film avance, plus les enregistrements se veulent intimes et plus ils sont grotesques. Dans cette juxtaposition de numéros, les effets et les discours s’annulent. Rien ne différencie le soldat qui se donne en spectacle dans un bar de Las Vegas et « l’opposante » qui insulte l’armée américaine via Youtube : celui qui revient d’Irak n’a fait que découvrir l’horreur prédite par celle qui en ignore tout.


La proposition que développe Redacted est somme toute assez simple : la réalité ne vaut pas mieux, n’est pas mieux que les pires caricatures que l’on peut en faire. Inutile, donc, de faire dans le crédible. Jamais un « film de guerre » ne s’était même autant rapproché du catalogue de clichés: l’attente, l’incompréhension, les mines, l’ennui, la bêtise (des soldats), les « dérapages » (des soldats), les prises d’otages et le retour, tout cela concentré sur une heure et demie. Pas d’ordre, une simple succession. Tout « sur le même plan », tel semble être le mot d’ordre. Redacted, revu et corrigé ne pose au fond qu’une seule question : pourquoi cette image serait-elle plus ou moins réelle que cette autre ? Pourquoi une scène toute faite, une énième resucée des soldats-types de Full Metal Jacket et de leurs dialogues types ne suffirait-elle pas, puisque la guerre américaine est déjà une parodie ? Une parodie de « réalisme », un ensemble d’effets de réalité visant à « faire vrai », et permettant à ceux qui sont en guerre de prendre au sérieux une mission qui paraît de loin ridicule. Et qui l’est, selon l’auteur d’Outrages.


Comment ça se passe vraiment là-bas ? De Palma ose une réponse : exactement comme on l’imagine d’ici. Dans ces conditions, Redacted ne prêche que les convaincus, ce qui, après tout, est le cas de tous les films auxquels on prête des velléités de dénonciation. Plus grave : une fois admis le postulat de départ, le film ne peut absolument plus « choquer ». On n’y fait d’ailleurs qu’une seule révélation : la guerre n’est pas mieux que ce qu’on dit. Mieux vaut alors croire aux images lustrées qu’aux reportages sur le terrain (idée que répète, résume et explique la postface). A la limite, on pourrait ne retenir que le dernier cliché du film, et éliminer les répétitions ratées, les « effets de manche de réel » qui font de l’Irak un théâtre. Sans consistance, ces « mauvaises images » n’offrent aucune prise, et le cinéaste les renvoie même systématiquement à leur inefficacité. Rien ne prouve d'ailleurs que la guerre qu’elles désignent n’est pas aussi inexistante. On peut tuer, exploser, violer, égorger, il ne se passe rien. De Palma rencontre ici le même problème que le dernier Cronenberg : on peut faire mal à un corps, pas à un dispositif.


M.P

30/01/2008

Pour une critique déictique.

Il faudrait dire la nullité de No Country for old men et en quoi elle consiste.


Le problème qui se pose lorsque l'on aborde un film des frères Coen, c'est qu'on ne peut jamais parler de cinéma, mais toujours d'autre chose: la thématique, les personnages, l'intertextualité du dernier opus avec les oeuvres précédentes, ce que j'appellerais en somme "l'envahissante littérature du discours critique appliqué au cinéma". Cynisme, humour noir et absurdité de la condition humaine sont les maîtres-mots des laudateurs; cadre, plan, composition et jeu d'acteur demeurent, hélas, aux abonnés absents. A force d'anecdotes, on oublie l'essentiel.


Partons donc de l'image, puisqu'enfin le cinéma ne se fait pas de mots. Soit la séquence où Chigurh (Javier Bardem) prend d'assaut la chambre d'un motel, à la quarante-neuvième minute du film. Découpée en quarante-sept plans dont le plus long n'excède pas dix secondes, celle-ci ne répond pas aux exigences d'une scène de suspens, qui suppose une condensation du temps de l'action et une synthétisation du découpage pour une plus grande efficacité dramaturgique. Pour pallier à l'inefficacité de leur écriture, les cinéastes, toujours prodigues en astuces scénaristiques, attaquent la séquence sur un montage parallèle en trompe l'œil: l'effet consiste à induire en erreur le spectateur, puisque ce dernier établit un rapport de proximité spatiale entre deux scènes qui se déroulent en vérité sur deux espaces respectivement éloignés. Ce procédé serait inventif et audacieux s'il n'était l'apanage de récentes séries américaines, comme Prison Break ou encore 24 heures chrono. La séquence se présente donc comme une illustration plan par plan d'un scénario storyboardé jusqu'à l'excès, et démontre une fois de plus l'amateurisme des frères: trop occupé à passer au plan suivant sans faire exister le précédent, No Country for old men est la démonstration d'une vacuité stylistique.


Mais il y a pis. Que les frères Coen fussent et demeurent de mauvais cinéastes ne nous surprend guère d'avantage. Non, ce qu'il y a de plus grave, c'est d'en arriver à faire un tel plan:




Il n'est pas nécessaire de gloser sur une image aussi dégueulasse, mais je rappellerais néanmoins que le photogramme ci-dessus ne saurait en rien retranscrire le mouvement obscène que décrit le plan, celui d'un homme criblé de chevrotine, propulsé en arrière par le choc de la déflagration, et qui laisse échapper dans un ultime effort le cri douloureux du martyre. Ceux qui excusent de telles images sont les défenseurs du cinéma de genre, ceux qui font passer leur délectation morbide pour quelque esprit contestataire et subversif, des anarchistes bourgeois qui désormais ne savent plus que choisir entre Mad Movies et Télérama. Pourtant, lorsqu'ils ne filment pas la violence avec complaisance, ils versent dans le cliché:





Pourquoi ces photogrammes sont-ils insignifiants? Deux raisons expliquent cela. La première est que les frères ne savent ce qu'ils filment; la seconde, qu'ils ne savent pas comment ils filment: cadrer des chaussettes blanches en gros plan, c'est bien la preuve qu'ils filment comme des pieds. Mais on trouve aussi dans le film des plans à la composition surlignée, tel:



Cette image me rappelle une réflexion de Robert Bresson que, paraît-il, les frères Coen admirent: " Si une image, regardée à part, exprime nettement quelque chose, si elle comporte une interprétation, elle ne se transformera pas au contact d'autres images. Les autres images n'auront aucun pouvoir sur elle, et elle n'aura aucun pouvoir sur les autres images. Ni action, ni réaction. Elle est définitive et inutilisable dans le système du cinématographe."(in Notes sur le cinématographe,p.23). Méprisant à chaque instant l'art de la composition, No Country for old men condamne ses images à l'oubli. Et l'oubli, au cinéma, c'est la mort.


Piètres cinéastes et médiocres scénaristes, Joël et Ethan Coen sont les Bacri et Jaoui du cinéma américain: No Country for old men est le film de deux vieux schnoques qui font passer leur sénilité pour de la maturité artistique.



N.B: Les captures d'écran proposées ci-dessus ont été réalisées à partir d'un divx pirate du film, et c'est avec une joie non dissimulée que nous déclarons avoir volé la propriété de Miramax.



31/12/2007

À l’américaine.


Howard Hawks, héritier gâté d’une riche famille du Wisconsin. Howard Hawks, étudiant médiocre s’encanaillant dans les bars de New York. Howard Hawks, jeune pilote mystérieux risquant sa vie dans des courses sauvages, sur les routes poussiéreuses de la Californie. Howard Hawks, playboy à Hollywood. Howard Hawks, cinéaste par hasard, aviateur et poète. Howard Hawks, producteur indépendant et réalisateur rebelle. Howard Hawks, chéri des studios puis icône cinéphile. Howard Hawks « Marivaux du Texas » (Luc Moullet), invitant encore, à 81 ans, l’infirmière qui le soigne à venir se baigner dans sa piscine… En quelques 950 pages, Todd McCarthy essaye – lourde tâche - de remettre de l’ordre dans tout ça.


La biographie qu’il dresse est, pour tout dire, à la fois admirable et vaine, formidable parce que vouée à l’échec. Si vous vouliez entrer dans l’intimité du grand homme, passez votre chemin : cette somme ne vous sera d’aucune utilité. Ce travail là est sérieux : pas question pour son auteur de mettre en scène le quotidien d’H. H. Il s’agit simplement de raconter, épisode après épisode, ce que l’on sait de la vie de Hawks, preuves à l’appui et toute anecdote vérifiée. McCarthy rapporte évènement après évènement : décès, mariages, succès et échecs. Il retrouve le nom des collaborateurs de chaque film, infirme beaucoup des histoires du vieux motard, rétablit les faits. Œuvre d’historien, effort de documentation dont les américains sont seuls capables. Outil précieux qui apporte des pièces aux dossiers : Hawks aurait bien diriger La Chose d’un autre monde, n’aurait effectivement rien fait sur Autant en emporte le Vent, etc., etc.… Tout est affaire de faits. Tout, et même un peu n’importe quoi.


À l’américaine, le critique croit toucher au génie d’Howard en énonçant les « qualités » de ses films : un bon scénario bien « personnel », de bons dialogues bien vifs, de bons acteurs bien en forme, de bons décors bien utilisés + (pour les chefs-d'œuvres) un bon rythme bien rapide, de bonnes idées plastiques (qui n’ont pas trop vieillies) et, bien sûr, une bonne mise en scène bien bonne. À l’américaine, aussi, il s’imagine expliquer la fascination qu’a inspirée le personnage à partir de son comportement. Conscient de la portée réelle de son pavé, il ne prétend d’ailleurs pas « comprendre » H.H. . Il ne veut qu’approcher l’homme en se limitant à l’indiscutable, l’incontestable.


Sa thèse est amusante : Hawks, naturellement doué pour la mise en scène, s’aguerrissant dans les années 30, aurait connu un « âge d’or », de Seuls les anges ont des ailes à La Rivière Rouge comprise, soit huit films, puis une perte de contrôle progressive et difficile de ses réalisations. Moment privilégié fait de succès publics ininterrompus, de réussites artistiques indéniables, de personnages masculins trouvant enfin un équilibre avec les femmes, qui correspond, exactement, aux huit ans de sa liaison avec Nancy Raye Gross, « Slim », sa deuxième femme. Les films précédents passent donc presque pour des ébauches : l’inoubliable Poings de fer, cœur d’or (1928) n’est considéré qu’au regard de ce qu’il annonce, plus ou moins, du style hawksien, l’extraordinaire Après nous le déluge (1933) n’est respecté que pour ses scènes d’action et le merveilleux Viva Villa ! (1934), entre autres, est exécuté en une phrase justifiée par une citation – cette fois approuvée – du cinéaste lui-même. Comme lui, le biographe suit en fait essentiellement le nombre d’entrées pour juger de la réussite d’un film. Il n’est qu’un peu plus difficile et définitif que les spectateurs d’époque avec La Captive aux yeux clairs (« le drame est rarement captivant »), Monkey Business (« l’action est dans l’ensemble mécanique et laborieuse, comme conduite machinalement selon un plan préexistant » !), ou même Les Hommes préfèrent les blondes et les films qui suivent. « Pour paraphraser Jacques Rivette : la médiocrité de Ligne Rouge 7000 s’impose à l’esprit par l’évidence » : sûr de lui, le scélérat ose même parler de « fiasco » !


Inutile d’énumérer tous ces jugements à l’emporte-pièce ; leur auteur en est fier : s’il peut critiquer Hawks, c’est, évidemment, qu’il a du recul... Cette critique «objective » qui marche aux « qualités » est d'ailleurs plus amusante qu’autre chose : pour le biographe comme pour Hawks, il s'agit simplement de savoir qui a eu ou aura la plus grosse dans la vie, donc le studio, donc le film – pensée claire, cohérente, admirable ! Ceux qui continuent à fonctionner un peu partout ainsi parlent de thèmes, de style, et sont alors prêts à s’attaquer à tout. L’ouvrage de Todd McCarthy, ses limites évidentes, est de ce point de vue exemplaire : on établirait l’emploi du temps d’Howard que rien n’y ferait, Hawks reste le plus mystérieux des cinéastes. Pas une photo d’époque, un photogramme oublié qui ne semble émerger d’un monde indifférent aux tourments que vient de nous raconter le biographe ; pas une déclaration qui n’échappe aux bémols que leur appose le chercheur.


Au fond, l’utilité de l’outil biographique n’est pas ici d’expliquer le génie de l’homme mais de montrer qu’il est inexplicable. C’est malgré les évènements, les drames –il en y a quantité-, contre eux, venant d’où ne sait où et voyant bien trop loin que l’art se déploie. Hawks, d’ailleurs, est le cinéaste de la liberté : on ne le comprend pas, on le salue. On n’entrevoit la portée de sa vision qu’en acceptant qu’elle nous entraîne et nous dépasse à la fois. Au fond, H.H. est une Boule de feu : sa vie n’a d’intérêt que si on la confronte à celle qu’il s’inventait. À l’américaine, il voyait le burlesque et le tragique en toute chose. À l’américaine, le quotidien était déjà sa poésie, le n’importe quoi était déjà chez lui du sublime.


« Un jour, chez moi », raconte t-il, « une fille, très belle, est devenue aveugle en buvant de l’alcool de contrebande. Pendant que nous attendions le docteur elle a dit : « Je suis peut-être aveugle mais ça ne veut pas dire que je ne me débrouille pas bien au lit. » » Hawks dit qu’il « aimait cette attitude ».


M.P

28/11/2007

Le supplice des images


Que trouve-t-on, finalement, derrière ces fameuses « promesses de l’est » ? Un mensonge, des mensonges. D’un côté, un avenir radieux de prostituée et d’esclave dans la capitale occidentale et, de l’autre, le calme d’un restaurant traditionnel où l’on projette une guerre des gangs, la sérénité d’un grand-père violeur et tueur d’enfants. Impossible donc, devant le film, de croire aux « promesses » de son titre. Toute « naïveté » nous est refusée, et ce dès le début. Ce qu’une infirmière idéaliste mettra des jours à comprendre saute aux yeux du spectateur dès la scène d’ouverture : un coiffeur peut-être un meurtrier. Tout comme un chauffeur ou un cuisinier : partout, le mal est déjà là. Pauvre de nous !


Nous voilà loin de A History of Violence, où c’était l’évènement le plus inattendu qui révélait les gênes du meurtre derrière l’utopie campagnarde. Ici, en plein Londres, il suffirait de tirer les rideaux pour voir un homme se faire égorger au rasoir. Mais nous sommes déjà à l’intérieur, nous n’avons pas à attendre pour être spectateurs de l’horreur. Ce qui nous est caché, invisible, ce sont maintenant les liens qui retiennent au contraire nos héros à la vie. Il est difficile de deviner l’espoir dans la fange, surtout quand nous allons si loin, ou que nous enfonçons tellement puisque, chez Cronenberg, toute étude critique prend la forme d’une dissection.


Il nous semble ainsi, pour rester dans cette image convenue, que le bond qui sépare les deux derniers Cronenberg est un peu celui que ferait un médecin devenu médecin légiste. Ce n’est plus par hasard ou pour se rétablir que l’on fouille le corps malade, c’est parce qu’au fond, il n’y a plus que ça à faire. D’ailleurs, on n’hésite plus : à nous les accouchements sauvages, les découpages de doigts, les jeunes hommes égorgés, les dos déchirés comme des peaux de banane et les mafieux éventrés sur grand écran. Notre guide semble se complaire dans l’humour d’un expert en corps morts tel que l’imagine un scénariste de télévision. Car si le réalisateur canadien imite la démarche scientifique, c’est toujours à travers le filtre des plus mauvais clichés. Que les brillants médecins qui nous lisent se rassurent : même Cronenberg n’oserait comparer leur travail au sien. Il a même volontairement abandonné toute velléité chirurgicale : ce qui l’inspire, maintenant, c’est la surface de ce puit d’horreurs qu’est tout corps dans ses films, l’apparence. Les murs et les visages bien propres, bien lisses. Les couleurs nettes et ce qu’il y voit, bien loin du « classicisme » que certains voudraient lui prêter : la fausseté, la duplicité, l’humour noir, la parodie et la publicité, l’obscénité.


Tous, depuis le vieux parrain qui feint de tout maîtriser jusqu’au croque-mort écrasant sa cigarette sur sa langue avant de charcuter son cadavre, tous tentent d’en imposer jusqu’à la caricature et au ridicule. Il y a même quelque chose de méchant à imaginer les acteurs se démenant devant le patron pour rendre « vrai » un jeu qui doit
apparaître à terme comme du bluff, du grotesque et de la bouffonnerie. Mais peu importe après tout la perversité de la démarche, ce qui compte, c’est ce qui en l'irréversibilité de ce choix. Les acteurs jouent seuls, dans le vide, parce qu’on ne leur donne même jamais l’intervalle qui leur permettrait d'abandonner ne serait-ce qu’une seconde leur costume et leur numéro. Pour respirer, les corps en sont réduits à s’ouvrir, littéralement. A déchirer l’écran trop lisse. D’où les scènes les plus insondablement vaines et, évidemment, les plus commentées. Dans un hammam trop vert, notre héros combat nu, à l’arme blanche et à 360 degrés, et se fraye un chemin dans les viscères de ses ennemis. Dans un bordel privé, le surhomme sodomise une adolescente pour faire plaisir au fils du boss. Il ne reste plus à Cronenberg qu'à constater: on peut filmer n'importe quoi, l'image tient. Dans ces conditions, pourquoi lui faire confiance ?


Peut-être y a-t-il aujourd’hui, outre-atlantique, un point de non retour pour beaucoup de cinéastes au glorieux passé. Peut-être y a-t-il surtout une crise de la croyance placée dans le cinéma par des générations aujourd’hui désabusées, et qui expliquerait les impasses plus impressionnantes encore de Scorsese, de Coppola, leur désir fou de mettre l'image à l'épreuve du vide et de la laideur, comme si allait subsister une pure image, exempte de toute faute. Naïveté de ces grands suspicieux.


14/09/2007

De l'énergie !

Pour Erich Von Stroheim et Guillaume Denis.


Nous n’aimons plus le cinéma. Nous y allons comme par devoir et nous sommes presque toujours déçus. Il n’y a pas si longtemps encore, une sortie était un bonheur, une séance était un mystère et un film, une promesse. Il était attendu, guetté, rêvé, et nous l’aimions d’avance. Nous en sortions surpris, choqués, heureux et même remplis de joie. Aujourd’hui, nous ne sortons de la salle qu’avec une vague impression de dégoût. Des communions « populaires » aux créations d’artistes, nous ne trouvons jamais qu’immondice, laideur ou vanité. Et dans ce marasme internationalement partagé, le cinéma français n’a que le mérite et la chance de réussir à nous faire honte. Godard parti, Straub exilé et Rozier ignoré, le temps des cahiers d’or est loin. Et ces noms là ne font plus vendre. Lorsque Danièle Huillet mourut, le 9 octobre dernier, personne n’en parla donc vraiment. Une partie de la presse spécialisée en fit état et le ministère de la culture envoya, pour l’occasion, un communiqué de presse de quatre phrases qu’aucun média n’a même voulu relayer. C’est tout, et c’est déjà beaucoup dire. Qui faut-il accuser ? Le public et sa volonté stupide, acharnée, de ne voir aucun film qui sorte de l’ordre du « normal » ? Oui, bien sûr, mais pas seulement. Un film qui ne sort que dans deux salles en France ne sera jamais un succès. Est-ce la faute aux distributeurs, aux producteurs, aux centres d’aides et de soutien au cinéma qui refusèrent toujours de financer les Straub ? Oui, c’est sûr, mais pas seulement. Aucun média, aucune organisation médiatique dépassant le cadre des initiés ne va couvrir un film signé Straub et Huillet. Même la critique refuse le plus souvent de faire écho à ce qu’on appelle, paraît-il, un « film sauvage ». Personne ne s’élève contre l’avis général, personne ne réfute les accusations stupides, personne n’attaque tous ceux qui oeuvrent pour réduire et enfermer le couple dans ce qu’il faut bien appeler l’anonymat. Pour eux comme pour tout le cinéma, c’est l’acceptation sans complexe qui domine désormais. On nous dit que la richesse du cinéma est dans sa diversité et l’on fait taire les cinéastes les plus originaux. On prétend que le cinéma est en progrès perpétuel, qu’il coure vers l’avenir et l’on nie l’existence même de ceux qui font le présent. Il ne s’agit même pas ici de critique ou de cinéphilie, il s’agit d’engagement. Par mollesse ou par facilité, personne ne s’engage plus. Irions-nous, d’ailleurs, exiger l’engagement d’un critique ou d’un homme si toutes ses convictions s’arrêtent à son film de la semaine ? Certainement pas. Il faut d’abord que nous retrouvions, nous même, tout ce que nous avons perdu. Il nous faut de l’envie, du goût et de la force d’affirmation. Il nous faut la rigueur, la grandeur et l’humour. Il nous faut être honnêtes, radicaux mais magnanimes. Il nous faut retrouver, en bref, quelque chose de très simple et de fondamental : de l’énergie !

13/09/2007

2007, une chronique cannoise.

Faute de temps, nous ne pouvons rendre compte que de trois films présentés en sélection officielle, Import Export de Ulrich Seidl, Paranoid Park de Gus Van Sant et Death Proof de Quentin Tarantino. Parce que ces trois films sont aussi différents qu'inégaux, il nous faut procéder au cas par cas sans perspective de synthèse (comment le pourrions-nous ?). L'actualité nous invite précisément à entreprendre cette démarche, tant sont nombreux les films qui sortent au cinéma simultanément, ou en différé, à leur projection sur la croisette: ainsi le spectateur a-t-il pu découvrir en salle Zodiac de David Fincher, Les chansons d'amour de Christophe Honoré, Le Scaphandre et le papillon de Julian Schnabel et Tehilim de Raphaël Nadjari, quatre films de la prestigieuse sélection officielle. Quelle place alors pour le chroniqueur ou le critique de cinéma? Par un heureux coup du sort, les films de Seidl et Van Sant ne sont pas encore programmés dans nos salles ; la parole critique devient alors prophétique...


Import Export


D'entrée de jeu, le ton est donné: des plans autonomes, comme des vignettes, composent le tableau impressionniste d'un pays abandonné de Dieu, en proie aux neiges infernales de l'Ukraine; une jeune femme, infirmière et blonde, erre dans un monde désolé, en quête d'argent et, peut-être, d'un mari...Les séquences d'un jeune viennois, d'abord vigile dans une grande surface, puis chômeur minable et surendetté, répondent comme un contrepoint à cette existence sordide; le montage parallèle tisse un lien d'espoir entre les deux humanités: Olga, partie pour l'Autriche à la recherche d'un travail, fera-t-elle la rencontre de Paul, âme esseulé au ban de la société? Attention, chez Seidl, pas de place au sentimentalisme. Import Export est en réalité une allégorie de la mondialisation, l'instantané d'un monde où les lois capitalistes transforment l'être humain en véritable marchandise. Si le propos est fort honnête, le film lui ne convainc pas; osons le dire, il est même complètement raté. C'est à croire que le cinéaste hésite encore entre le documentaire et la fiction, comme si cette hésitation n'était pas au coeur du cinéma mondial depuis plus de cinquante ans. C'est donc bien le mal qu'il faut diagnostiquer dans le cinéma contemporain: les réalisateurs ne vont plus au cinéma ! Passons à autre chose, nom de Dieu !


Paranoid Park



Pour le cinéphile amoureux des derniers films de Gus Van Sant, il y avait quelque appréhension à ne pas retrouver, lorsque s'éteignaient les lumières de la salle, le format 1/1.33 caractéristique de la photographie d'Elephant et de Last days, si beau, si pur, si concentré. Mais on se souvient aussi des premiers longs-métrages du cinéaste, ces fictions hétérogènes, ces charmes métissés et insaisissables, et tout vansantien convaincu sait que le plaisir naît de l'impondérable et de l'inattendu. S'il fallait ériger cette dernière remarque en maxime, Paranoid Park pourrait bien faire figure de nouveau chef-d'oeuvre dans la filmographie du maître de Portland. Non qu'il soit parfait; en cela les compositions d'Elephant et de Last days, voire même de Gerry, sont autrement plus vertigineuses. Mais il semble que le dernier film de Gus Van Sant nous dise quelque chose de plus profond encore sur l'art, la vie et l'homme. On pourrait même déclarer qu'il lui fallait passer par l'ascèse formelle de Last days pour pouvoir retrouver les pouvoirs de ses premiers films, mais décuplés, renouvelés. Son montage a repris de sa vigueur, les durées sont moins soulignées, moins systématiques, le cadrage de ses plans nous apparaît plus instinctif, plus souverain; on y trouve même un incroyable plan de grue, impensable dans le système des précédents longs-métrages. C'est un film qui nous fait étrangement penser au Godard des années 80, où chaque scène n'excédait pas un découpage de trois plans; comme dans Soigne ta droite (1987), il semble que le cinéaste aime à régénérer ses forces dans l'observation d'une jeunesse explosive; les Rita Mitsoukos laissent ici la place à une bande de skateurs impériaux, filmés comme la Horde Sauvage de Sam Peckinpah. Paranoid Park est un merveilleux film, un film nonchalant et optimiste qui tranche avec la gravité de Last Days. Certains lui reprochent déjà de ne pas se renouveler : honte à vous, hommes de peu de bonne foi !


Death Proof- Boulevard de la mort


Ainsi donc Tarantino est un cinéaste prolétaire, selon les mots de Pierre Rissient. C'est donc qu'on se moque du peuple, qu'on le méprise et qu'on le rabaisse. Passons sur la puérilité du propos, constante chez le réalisateur de Kill Bill; ce qui nous choque, c'est d'avantage la paresse du récit, sa complaisance pour une parole du vide et de la vulgarité, l'obsession du réalisateur (puisque tel est le métier de Tarantino) à faire comme dans les années 70, lorsque ses goûts musicaux et cinématographiques ne révèlent de la glorieuse décennie que l'aspect le plus pauvre et le plus mercantile. Notons pour finir que ce film durait près de 40 minutes et qu'il a été gonflé de plusieurs séquences "dialoguées" pour atteindre la durée "standard" d'un long-métrage de 2 heures et 7 minutes ! Un film répugnant de bêtise autoproclamée.

A.M