29/02/2008

Small Soldiers



Il y a quelque chose de très beau et de très naïf dans le cinéma de de Palma, une manière de s’attacher aux idoles du monde contemporain et de les gonfler de tout ce qu’on leur attribue, jusqu’à leur explosion. C’est bien évidemment la fragile Carrie, sainte vierge mise en gloire avant d’exploser de rage. Ou, à l’autre extrémité, le méchant Cassavetes de Fury, ce monstre de haine que Brian ose faire imploser comme un ballon de baudruche. Comme si le cinéma pouvait, in fine, détruire de l’intérieur les stéréo-types, ces saints et ces diables publicitaires décidément trop ridicules. Mais maintenant que les choses ont changé, qu’aucun héros ou modèle n’est plus capable de susciter la ferveur religieuse, les attaques du cinéaste barbu ont changé d’objectif. C’est à une autre croyance collective que s’en prend l’auteur de Redacted : à cette obsession des « vraies images » qui donne de la valeur aux enregistrements les plus inavouables, qu’ils viennent de caméras de surveillances ou des aventures des Jackass. L’auteur de Blow Out voit monter ça depuis assez longtemps pour savoir que ce n’est au fond que l’extension d’un principe du cinéma pornographique, et que les snuffmovies ont en quelque sorte popularisé.


Pourtant, de Palma ne critique pas la fascination exercée par les vidéos amateurs, il la tourne en ridicule en mimant ces fameux documentaires. Avec ses acteurs, d’abord, qu’il traite ouvertement comme des marionnettes, et oblige à reprendre des rôles tout faits : le soldat qui meure (noir), le soldat idiot (gros), le soldat faible (témoin), l’intellectuel (à lunettes), le méchant (qui tue), le gentil (qui pleure). Les représentations que donne la mauvaise troupe sont aussi peu crédibles : soit parodique (le reportage français, en musique), soit inversé (plans fixes, longs, profonds, volontairement laids), le système du reportage (et du faux reportage, à la Paul Greengrass) tourne vite à la farce. Plus le film avance, plus les enregistrements se veulent intimes et plus ils sont grotesques. Dans cette juxtaposition de numéros, les effets et les discours s’annulent. Rien ne différencie le soldat qui se donne en spectacle dans un bar de Las Vegas et « l’opposante » qui insulte l’armée américaine via Youtube : celui qui revient d’Irak n’a fait que découvrir l’horreur prédite par celle qui en ignore tout.


La proposition que développe Redacted est somme toute assez simple : la réalité ne vaut pas mieux, n’est pas mieux que les pires caricatures que l’on peut en faire. Inutile, donc, de faire dans le crédible. Jamais un « film de guerre » ne s’était même autant rapproché du catalogue de clichés: l’attente, l’incompréhension, les mines, l’ennui, la bêtise (des soldats), les « dérapages » (des soldats), les prises d’otages et le retour, tout cela concentré sur une heure et demie. Pas d’ordre, une simple succession. Tout « sur le même plan », tel semble être le mot d’ordre. Redacted, revu et corrigé ne pose au fond qu’une seule question : pourquoi cette image serait-elle plus ou moins réelle que cette autre ? Pourquoi une scène toute faite, une énième resucée des soldats-types de Full Metal Jacket et de leurs dialogues types ne suffirait-elle pas, puisque la guerre américaine est déjà une parodie ? Une parodie de « réalisme », un ensemble d’effets de réalité visant à « faire vrai », et permettant à ceux qui sont en guerre de prendre au sérieux une mission qui paraît de loin ridicule. Et qui l’est, selon l’auteur d’Outrages.


Comment ça se passe vraiment là-bas ? De Palma ose une réponse : exactement comme on l’imagine d’ici. Dans ces conditions, Redacted ne prêche que les convaincus, ce qui, après tout, est le cas de tous les films auxquels on prête des velléités de dénonciation. Plus grave : une fois admis le postulat de départ, le film ne peut absolument plus « choquer ». On n’y fait d’ailleurs qu’une seule révélation : la guerre n’est pas mieux que ce qu’on dit. Mieux vaut alors croire aux images lustrées qu’aux reportages sur le terrain (idée que répète, résume et explique la postface). A la limite, on pourrait ne retenir que le dernier cliché du film, et éliminer les répétitions ratées, les « effets de manche de réel » qui font de l’Irak un théâtre. Sans consistance, ces « mauvaises images » n’offrent aucune prise, et le cinéaste les renvoie même systématiquement à leur inefficacité. Rien ne prouve d'ailleurs que la guerre qu’elles désignent n’est pas aussi inexistante. On peut tuer, exploser, violer, égorger, il ne se passe rien. De Palma rencontre ici le même problème que le dernier Cronenberg : on peut faire mal à un corps, pas à un dispositif.


M.P