29/04/2008

Et pendant ce temps-là...


Devant le succès (immense) de Bienvenue chez les Ch’tis, le critique ne peut que poser la même question que Babe face au chien qui l’assaille : pourquoi ? Il est, lui aussi, désemparé, incapable d’expliquer par des raisons esthétiques un phénomène qui relève sans doute plus de la sociologie. Comment un film à tous points de vues peu ambitieux a-t-il pu se créer une audience historique, et amener aux cinéma tous ceux (ils sont nombreux) qui n’y vont qu’une fois par décennie ? Les plus courageux ont émis une hypothèse : le film de Dany Boon aurait le don de rassurer. Bienvenue chez les Ch’tis serait l’histoire d’une mondialisation miniature (littéralement, d’un facteur délocalisé) que la réduction d’échelle rendrait acceptable et heureuse : l’étranger est toujours du même pays et le pays est, déjà, un melting-pot réussi (l’idée maîtresse étant de faire jouer le Français du Sud et le Français du Nord, ces essences, par deux acteurs « issus de l’immigration »).


Cette thèse (©J-M Lalanne) a aussi une contrepartie : ce qui se réduit, en même temps que l’espace de la peur, c’est celui de l’utopie. Le bonheur que présente le film, cette famille (on peut difficilement parler de communauté) retrouvée dans le travail et la bonne humeur, n’existe que par sa petitesse. Rien de régionaliste ici : le ch’timi n’est pas revendiqué comme le propre d’un peuple, il n’est que cette manie locale qui a le don d’amuser les touristes ; on est pas sympathique parce que les gens du nord le sont mais parce qu’ici, à Bergues, on prend le temps d’être sympathique ; bref, l’accueil n’est si familial que parce que la tournée est si petite. Les qualités prêtées au nord sont simplement celles qu’on attribuait traditionnellement au sud et l’on peut penser, puisque l’individualisme cupide a triomphé en Provence, que c’est maintenant en pays ch’ti qu’on doit chercher l’esprit de Pagnol. Discrètement, c’est donc le vieux mythe de la France des villages autarciques, insouciants, où tout le monde se connaît qu’aménage Dany Boon. Que l’on veuille encore tant y croire, en France comme ailleurs (le film est déjà vendu à l’étranger), voilà qui dessine, loin des revendications identitaires, une curieuse internationale du repli.


M.P.