18/05/2008

Desplechin et l'éternel retour


Ce que l’on admire chez Desplechin, c’est l’audace. Plus il avance, plus son cinéma se fait d’arythmies et de ruptures, d’envolées lyriques et de chutes burlesques. Autant de mouvements qu’il laisse au spectateur le soin d’agencer, pour comprendre non pas l’histoire (les personnages de Desplechin sont aimables : ils disent tout de leur vie et de leurs envies) mais l’intrigue. Le plus expérimenté des scénaristes ne saurait dire qui est le héros ou quels sont les enjeux d’Un Conte de Noël (Roubaix !) (ne pas oublier la parenthèse). A cela une raison simple : pour l’auteur de La Vie des Morts, la réunion de famille est surtout l’occasion d’une décomposition, personnage par personnage, relation par relation. On pourrait presque parler ici d’une technique de dispersion. Au repas proprement dit (qui ne durera pas plus d’une minute), le cinéaste préfère les apartés, à la fêtes ses à côtés, ce qui la précède ou la suit. La cérémonie ne sert qu’à révéler une suite de décalages : retraits, pas de côtés, coups de folies pour lesquels Amalric est effectivement, jusque dans ses outrances, l’acteur parfait.

Le mouvement (presque le seul) que déclinent tous les héros du conte, c’est la fuite, surtout en avant. Et le modèle de Desplechin, ici encore, c’est Truffaut : ce qui l’intéresse dans une scène, c’est d’abord la manière de l’esquiver. Rien de plus précieux, alors, que la gestuelle doinellienne et son éventail de parades ; il faut voir comment les tics d’Henri-Amalric parodient ceux d’Antoine-Léaud pour n’en conserver que l’agitation, la bougeotte. Car ce qui a changé, c’est justement la direction de l’acteur. Doinel est un héros irresponsable, par principe et par définition, mais il sait bien ses actes irréversibles : même s’il avance en zigzags, il ne repasse jamais au même endroit. Le jeu d’Henri est au contraire une vraie parade : il renvoie les balles de tous côtés à une allure effrénée, mais cette exaltation ne vise qu’à l’immobilité. Et comme tout le monde, rythmiquement, se cale sur lui, la famille entière fait du sur place. La réunion qui s’annonçait historique n’était qu’une pure parenthèse ; à la fin, tout le monde retourne chez soi.


Un Conte de Noël s’arrête comme Rois et Reines. On s’est assez replongé dans les mauvais souvenirs et les affaires de famille, disent textuellement les héroïnes de Desplechin; le temps du renouveau est venu. Il ne s’agit pas ici de critiquer cette volonté d’en finir mais de constater qu’elle n’aboutit pas : Emmanuelle Devos brûlait la lettre de son père, mais c’est maintenant au tour d’Anne Consigny de retourner dans le berceau familial (et pendant deux heures et demie cette fois) pour se promettre dans la scène finale de ne plus y penser. Le film de Despleschin remet sur le métier le précédent, simplifiant son scénario pour mieux l’étoffer, le préciser, l’aiguiser (sur une trame plus lisible que Rois et reines, Un Conte… est un film qui ménage encore moins son public) par endroits. Le problème, c’est que le film commence et finit comme le précédent. Chaque fois, le grand drame annonce sa fin et la venue de temps heureux. Chaque fois, le grand film contemporain s’excuse un peu de sa pompe (les mythes, avec Abel et Junon, les textes, Nietzsche parmi tant d’autres, les ainés de cinéma – il y en a trop pour les citer…), chaque fois il l’alourdit. Bref, A. D. n’en finit pas de nous concocter des bouquets finaux, sans jamais nous laisser entrevoir la suite tant attendue. Problème : comment être contemporain quand on doit déjà dire adieu au cinéma moderne (sur ce point, voir l’article du mois sur l’Histoire desplechinoise du cinéma) ? Comment faire naître un nouveau film quand on est encore occupé à tuer l’ancien ?




M. P.