30/01/2008

De la balle


Que cela soit dit : Le Voyage du Ballon Rouge est un film absolument admirable. Un film de vacances, une récréation familiale filmant notre ville lumière avec une joie retrouvée qui est pour nous très précieuse.


Fidèle à lui-même, le maître de Taïwan ne se soucie pas de « transfigurer » le décor parisien mais d’en désigner la beauté rassurante, permanente, avec l’acuité particulière des voyageurs de passage. Trois séquences seulement rejoindront les cartes postales : la toute première, place de la Bastille, celle du canal Saint-Martin, au centre du film, et la rêverie finale sur les toits à partir du musée d’Orsay. Entre l’ouverture et le final, Hou fond systématiquement les murs de la capitale dans les trajets, les stations de ses personnages principaux. Même les écluses folkloriques seront prises dans un travelling souverain, libéré des gageures touristiques comme le ballon de la pesanteur.


On est loin de Klapisch, et même de Lamorisse. Ici, le ballon n’a plus la densité d’un personnage. Il est d’emblée réminiscence. C’est un effet connu, un trucage que le cinéaste explique, non sans malice, par la voix de son héroïne. Magie fausse, artifice dont le véritable intérêt est d’attirer Simon, le jeune garçon, à regarder plus loin, à agrandir l’image. Démarche plus bazinienne que celle du Ballon Rouge original et qui nous révèle le véritable enjeu du film : retrouver le sentiment de l’horizon dans la verticalité de la ville.


Ayant tous deux le sentiment d’être englobés, dépassés, l’enfant et l’étranger sont deux privilégiés. Ils ont le sentiment du ciel, de la lumière. Le tournage n’ayant duré qu’un mois, le cinéaste gangster travaille sur le Paris du moment, ville de jour pleine de soleil à l’opposée de la métropole nocturne de ses deux précédents opus. Une lumière, un ton domine même largement sur les murs de la cité : celle, on ne peut plus nostalgique, de la fin d’après-midi reflétée sur la pierre des beaux quartiers. Hou Hsiao Hsien rêve une capitale dévoilant sa vieillesse, tranquille et familiale comme lui est peut-être apparue celle de son séjour.



On aurait cependant tort de ne pas prendre cette vision au sérieux. Parmi tous les sentiments que le cinéaste prête à la jeune filmeuse face à la métropole inconnue, il nous semble particulièrement important d’en remarquer un : la lenteur. Ce ne sont plus les personnages et leurs actions qui s’inscrivent en marge de l’agitation des actifs, c’est la ville entière qui baigne dans une atmosphère de village et un calme estival. Beaucoup de critiques reprochent au grand maître d’avoir montré les bobos plutôt que « le Paris qui bouge ». Encore faut-il savoir de quoi l’on parle. Hou Hsiao Hsien «s'est surtout polarisé sur le quartier de la Bastille, celui des ruelles branchées, des bobos, des autobus, du métro aérien, et des artisans, le jugeant sans doute symptomatique du Paris du début des années 2000 » écrit ainsi Jean-Luc Douin dans Le Monde. Profitons donc de cet article pour lui apprendre qu’autobus et métros dépassent le quartier de la Bastille. Et, détail tout de même remarquable, que le film ne se centre pas sur le quartier susdit mais sur une petite partie du cinquième arrondissement, entre la rue Mouffetard et le boulevard Port-Royal. C’est là, apparemment chez ses hôtes, qu’Hou Hsiao Hsien trouve la matière de son film : la sérénité de la ville derrière les agitations du quotidien. Plus encore qu’à l’étudiante en cinéma baby-sitter, c’est sans doute à l’accordeur de piano que s’identifie le maître. Aveugle, le musicien fait son travail sans se soucier des bruits, dans la même pièce, d’une Playstation 2 et d’une scène de ménage.


Tout ici ne fait que participer de la même vieille musique. Le présent prend l’apparence des souvenirs et les plans confondent sans peine le temps de l’enfance et celui des adultes. Le montage se fait invisible. Lorsque, dans un bar, Simon raconte à Song que sa sœur l’emmenait jouer au flipper, le cinéaste, comme s’il filmait un autre coin du café, enchaîne aussitôt sur un flash-back presque insensible. Comme les reflets en tout genre, l’écrasement des perspectives ramènent la ville à une échelle humaine, habitable. Dans la chambre de l’enfant, dans le train, les vitres sales nous filtrent la lumière. Le paysage est plus serein qu’on ne le croit, et le cinéaste étranger l’aperçoit mieux que nous. Comme le mystérieux ballon rouge, il nous invite à le constater en le suivant jusqu’au dessus des toits.