Il faudrait dire la nullité de No Country for old men et en quoi elle consiste.
Le problème qui se pose lorsque l'on aborde un film des frères Coen, c'est qu'on ne peut jamais parler de cinéma, mais toujours d'autre chose: la thématique, les personnages, l'intertextualité du dernier opus avec les oeuvres précédentes, ce que j'appellerais en somme "l'envahissante littérature du discours critique appliqué au cinéma". Cynisme, humour noir et absurdité de la condition humaine sont les maîtres-mots des laudateurs; cadre, plan, composition et jeu d'acteur demeurent, hélas, aux abonnés absents. A force d'anecdotes, on oublie l'essentiel.
Partons donc de l'image, puisqu'enfin le cinéma ne se fait pas de mots. Soit la séquence où Chigurh (Javier Bardem) prend d'assaut la chambre d'un motel, à la quarante-neuvième minute du film. Découpée en quarante-sept plans dont le plus long n'excède pas dix secondes, celle-ci ne répond pas aux exigences d'une scène de suspens, qui suppose une condensation du temps de l'action et une synthétisation du découpage pour une plus grande efficacité dramaturgique. Pour pallier à l'inefficacité de leur écriture, les cinéastes, toujours prodigues en astuces scénaristiques, attaquent la séquence sur un montage parallèle en trompe l'œil: l'effet consiste à induire en erreur le spectateur, puisque ce dernier établit un rapport de proximité spatiale entre deux scènes qui se déroulent en vérité sur deux espaces respectivement éloignés. Ce procédé serait inventif et audacieux s'il n'était l'apanage de récentes séries américaines, comme Prison Break ou encore 24 heures chrono. La séquence se présente donc comme une illustration plan par plan d'un scénario storyboardé jusqu'à l'excès, et démontre une fois de plus l'amateurisme des frères: trop occupé à passer au plan suivant sans faire exister le précédent, No Country for old men est la démonstration d'une vacuité stylistique.
Mais il y a pis. Que les frères Coen fussent et demeurent de mauvais cinéastes ne nous surprend guère d'avantage. Non, ce qu'il y a de plus grave, c'est d'en arriver à faire un tel plan:
Il n'est pas nécessaire de gloser sur une image aussi dégueulasse, mais je rappellerais néanmoins que le photogramme ci-dessus ne saurait en rien retranscrire le mouvement obscène que décrit le plan, celui d'un homme criblé de chevrotine, propulsé en arrière par le choc de la déflagration, et qui laisse échapper dans un ultime effort le cri douloureux du martyre. Ceux qui excusent de telles images sont les défenseurs du cinéma de genre, ceux qui font passer leur délectation morbide pour quelque esprit contestataire et subversif, des anarchistes bourgeois qui désormais ne savent plus que choisir entre
Mad Movies et
Télérama. Pourtant, lorsqu'ils ne filment pas la violence avec complaisance, ils versent dans le cliché:
Pourquoi ces photogrammes sont-ils insignifiants? Deux raisons expliquent cela. La première est que les frères ne savent ce qu'ils filment; la seconde, qu'ils ne savent pas comment ils filment: cadrer des chaussettes blanches en gros plan, c'est bien la preuve qu'ils filment comme des pieds. Mais on trouve aussi dans le film des plans à la composition surlignée, tel:
Cette image me rappelle une réflexion de Robert Bresson que, paraît-il, les frères Coen admirent: " Si une image, regardée à part, exprime nettement quelque chose, si elle comporte une interprétation, elle ne se transformera pas au contact d'autres images. Les autres images n'auront aucun pouvoir sur elle, et elle n'aura aucun pouvoir sur les autres images. Ni action, ni réaction. Elle est définitive et inutilisable dans le système du cinématographe."(in Notes sur le cinématographe,p.23). Méprisant à chaque instant l'art de la composition, No Country for old men condamne ses images à l'oubli. Et l'oubli, au cinéma, c'est la mort.
Piètres cinéastes et médiocres scénaristes, Joël et Ethan Coen sont les Bacri et Jaoui du cinéma américain: No Country for old men est le film de deux vieux schnoques qui font passer leur sénilité pour de la maturité artistique.
N.B: Les captures d'écran proposées ci-dessus ont été réalisées à partir d'un divx pirate du film, et c'est avec une joie non dissimulée que nous déclarons avoir volé la propriété de Miramax.