30/01/2008

No pity for old men.


Comme le meilleur, le pire s’accentue avec l’âge. Par un étrange hasard, le calendrier des sorties nous amène en même temps les nouveaux films de trois cinéastes phares des années 1990 : Tim Burton, Emir Kusturica, et les frères Coen. Comme ils paraissent vieux et dépassées, ces derniers « grands auteurs »! Leur retour a quelque chose de triste, comme s’il laissait voir sur les salles un grand vide, un échec du cinéma contemporain. Plutôt que de le combler par des éloges forcés, nous attaquerons le plus défendu et le plus odieux de ces derniers opus, celui des auteurs de Fargo, laissant les deux autres bénéficier de la bonté de notre silence.


Et bonne année, bien sûr.

M.P

Grandeur du cinéma français


Nous parlions le mois dernier d’une « médiocrité sidérante du cinéma français ». L’expression semble vous avoir gênés. Les mots, hélas, tombent devant les images...


De la balle


Que cela soit dit : Le Voyage du Ballon Rouge est un film absolument admirable. Un film de vacances, une récréation familiale filmant notre ville lumière avec une joie retrouvée qui est pour nous très précieuse.


Fidèle à lui-même, le maître de Taïwan ne se soucie pas de « transfigurer » le décor parisien mais d’en désigner la beauté rassurante, permanente, avec l’acuité particulière des voyageurs de passage. Trois séquences seulement rejoindront les cartes postales : la toute première, place de la Bastille, celle du canal Saint-Martin, au centre du film, et la rêverie finale sur les toits à partir du musée d’Orsay. Entre l’ouverture et le final, Hou fond systématiquement les murs de la capitale dans les trajets, les stations de ses personnages principaux. Même les écluses folkloriques seront prises dans un travelling souverain, libéré des gageures touristiques comme le ballon de la pesanteur.


On est loin de Klapisch, et même de Lamorisse. Ici, le ballon n’a plus la densité d’un personnage. Il est d’emblée réminiscence. C’est un effet connu, un trucage que le cinéaste explique, non sans malice, par la voix de son héroïne. Magie fausse, artifice dont le véritable intérêt est d’attirer Simon, le jeune garçon, à regarder plus loin, à agrandir l’image. Démarche plus bazinienne que celle du Ballon Rouge original et qui nous révèle le véritable enjeu du film : retrouver le sentiment de l’horizon dans la verticalité de la ville.


Ayant tous deux le sentiment d’être englobés, dépassés, l’enfant et l’étranger sont deux privilégiés. Ils ont le sentiment du ciel, de la lumière. Le tournage n’ayant duré qu’un mois, le cinéaste gangster travaille sur le Paris du moment, ville de jour pleine de soleil à l’opposée de la métropole nocturne de ses deux précédents opus. Une lumière, un ton domine même largement sur les murs de la cité : celle, on ne peut plus nostalgique, de la fin d’après-midi reflétée sur la pierre des beaux quartiers. Hou Hsiao Hsien rêve une capitale dévoilant sa vieillesse, tranquille et familiale comme lui est peut-être apparue celle de son séjour.



On aurait cependant tort de ne pas prendre cette vision au sérieux. Parmi tous les sentiments que le cinéaste prête à la jeune filmeuse face à la métropole inconnue, il nous semble particulièrement important d’en remarquer un : la lenteur. Ce ne sont plus les personnages et leurs actions qui s’inscrivent en marge de l’agitation des actifs, c’est la ville entière qui baigne dans une atmosphère de village et un calme estival. Beaucoup de critiques reprochent au grand maître d’avoir montré les bobos plutôt que « le Paris qui bouge ». Encore faut-il savoir de quoi l’on parle. Hou Hsiao Hsien «s'est surtout polarisé sur le quartier de la Bastille, celui des ruelles branchées, des bobos, des autobus, du métro aérien, et des artisans, le jugeant sans doute symptomatique du Paris du début des années 2000 » écrit ainsi Jean-Luc Douin dans Le Monde. Profitons donc de cet article pour lui apprendre qu’autobus et métros dépassent le quartier de la Bastille. Et, détail tout de même remarquable, que le film ne se centre pas sur le quartier susdit mais sur une petite partie du cinquième arrondissement, entre la rue Mouffetard et le boulevard Port-Royal. C’est là, apparemment chez ses hôtes, qu’Hou Hsiao Hsien trouve la matière de son film : la sérénité de la ville derrière les agitations du quotidien. Plus encore qu’à l’étudiante en cinéma baby-sitter, c’est sans doute à l’accordeur de piano que s’identifie le maître. Aveugle, le musicien fait son travail sans se soucier des bruits, dans la même pièce, d’une Playstation 2 et d’une scène de ménage.


Tout ici ne fait que participer de la même vieille musique. Le présent prend l’apparence des souvenirs et les plans confondent sans peine le temps de l’enfance et celui des adultes. Le montage se fait invisible. Lorsque, dans un bar, Simon raconte à Song que sa sœur l’emmenait jouer au flipper, le cinéaste, comme s’il filmait un autre coin du café, enchaîne aussitôt sur un flash-back presque insensible. Comme les reflets en tout genre, l’écrasement des perspectives ramènent la ville à une échelle humaine, habitable. Dans la chambre de l’enfant, dans le train, les vitres sales nous filtrent la lumière. Le paysage est plus serein qu’on ne le croit, et le cinéaste étranger l’aperçoit mieux que nous. Comme le mystérieux ballon rouge, il nous invite à le constater en le suivant jusqu’au dessus des toits.


Pour une critique déictique.

Il faudrait dire la nullité de No Country for old men et en quoi elle consiste.


Le problème qui se pose lorsque l'on aborde un film des frères Coen, c'est qu'on ne peut jamais parler de cinéma, mais toujours d'autre chose: la thématique, les personnages, l'intertextualité du dernier opus avec les oeuvres précédentes, ce que j'appellerais en somme "l'envahissante littérature du discours critique appliqué au cinéma". Cynisme, humour noir et absurdité de la condition humaine sont les maîtres-mots des laudateurs; cadre, plan, composition et jeu d'acteur demeurent, hélas, aux abonnés absents. A force d'anecdotes, on oublie l'essentiel.


Partons donc de l'image, puisqu'enfin le cinéma ne se fait pas de mots. Soit la séquence où Chigurh (Javier Bardem) prend d'assaut la chambre d'un motel, à la quarante-neuvième minute du film. Découpée en quarante-sept plans dont le plus long n'excède pas dix secondes, celle-ci ne répond pas aux exigences d'une scène de suspens, qui suppose une condensation du temps de l'action et une synthétisation du découpage pour une plus grande efficacité dramaturgique. Pour pallier à l'inefficacité de leur écriture, les cinéastes, toujours prodigues en astuces scénaristiques, attaquent la séquence sur un montage parallèle en trompe l'œil: l'effet consiste à induire en erreur le spectateur, puisque ce dernier établit un rapport de proximité spatiale entre deux scènes qui se déroulent en vérité sur deux espaces respectivement éloignés. Ce procédé serait inventif et audacieux s'il n'était l'apanage de récentes séries américaines, comme Prison Break ou encore 24 heures chrono. La séquence se présente donc comme une illustration plan par plan d'un scénario storyboardé jusqu'à l'excès, et démontre une fois de plus l'amateurisme des frères: trop occupé à passer au plan suivant sans faire exister le précédent, No Country for old men est la démonstration d'une vacuité stylistique.


Mais il y a pis. Que les frères Coen fussent et demeurent de mauvais cinéastes ne nous surprend guère d'avantage. Non, ce qu'il y a de plus grave, c'est d'en arriver à faire un tel plan:




Il n'est pas nécessaire de gloser sur une image aussi dégueulasse, mais je rappellerais néanmoins que le photogramme ci-dessus ne saurait en rien retranscrire le mouvement obscène que décrit le plan, celui d'un homme criblé de chevrotine, propulsé en arrière par le choc de la déflagration, et qui laisse échapper dans un ultime effort le cri douloureux du martyre. Ceux qui excusent de telles images sont les défenseurs du cinéma de genre, ceux qui font passer leur délectation morbide pour quelque esprit contestataire et subversif, des anarchistes bourgeois qui désormais ne savent plus que choisir entre Mad Movies et Télérama. Pourtant, lorsqu'ils ne filment pas la violence avec complaisance, ils versent dans le cliché:





Pourquoi ces photogrammes sont-ils insignifiants? Deux raisons expliquent cela. La première est que les frères ne savent ce qu'ils filment; la seconde, qu'ils ne savent pas comment ils filment: cadrer des chaussettes blanches en gros plan, c'est bien la preuve qu'ils filment comme des pieds. Mais on trouve aussi dans le film des plans à la composition surlignée, tel:



Cette image me rappelle une réflexion de Robert Bresson que, paraît-il, les frères Coen admirent: " Si une image, regardée à part, exprime nettement quelque chose, si elle comporte une interprétation, elle ne se transformera pas au contact d'autres images. Les autres images n'auront aucun pouvoir sur elle, et elle n'aura aucun pouvoir sur les autres images. Ni action, ni réaction. Elle est définitive et inutilisable dans le système du cinématographe."(in Notes sur le cinématographe,p.23). Méprisant à chaque instant l'art de la composition, No Country for old men condamne ses images à l'oubli. Et l'oubli, au cinéma, c'est la mort.


Piètres cinéastes et médiocres scénaristes, Joël et Ethan Coen sont les Bacri et Jaoui du cinéma américain: No Country for old men est le film de deux vieux schnoques qui font passer leur sénilité pour de la maturité artistique.



N.B: Les captures d'écran proposées ci-dessus ont été réalisées à partir d'un divx pirate du film, et c'est avec une joie non dissimulée que nous déclarons avoir volé la propriété de Miramax.